À ceux qui portent trop : aimer sans se perdre.
- Anne Besure

- 5 nov.
- 3 min de lecture

Quand la douleur devient un mode d’existence.
De nombreuses personnes que j’ai eu la chance d’accompagner me confient à quel point elles se sentent épuisées, coupables, parfois même redevables, face à un proche englué dans la plainte ou la souffrance. Elles ne savent plus comment aimer sans s’épuiser, ni comment se protéger sans se sentir dures ou égoïstes.
Dans certains cas, ce réflexe vient d’un endroit plus ancien que la relation présente : celui de la dette invisible. Dans certaines familles, l’amour a circulé avec cette idée qu’il fallait “rendre”, “compenser”, “mériter”. Alors, quand un proche souffre, le besoin de réparer s’impose comme une évidence, une manière de rester fidèle, de préserver un équilibre affectif, ou de combler un manque ancien. Cela part d’un élan sincère, mais à force de donner pour réparer, on finit parfois par s’éloigner de soi, en confondant amour et devoir.
Deux blessures qui se répondent.
Il n’y a pourtant ni coupable, ni bourreau dans ces histoires. Il y a simplement deux blessures qui se font écho : celle de celui qui ne sait pas recevoir autrement que dans la douleur, et celle de celui qui croit que sa valeur dépend de ce qu’il donne.
L’un réclame silencieusement : « Reste avec moi dans ma souffrance ».
Et l’autre répond : « Je ne peux pas te laisser seul·e là-dedans. »
C’est ainsi que se tisse, lentement, la toile invisible de la culpabilité et du devoir.
Sortir de ce cycle n’implique pas de s’endurcir, mais de remettre de la clarté dans le lien. Il s’agit d’apprendre à comprendre sans porter, d’écouter sans absorber, d’aimer sans se dissoudre.
Dire sans sauver : les mots qui apaisent.
Parfois, cela commence par une phrase toute simple, exprimée ou juste pensée en conscience, un mot qui fait trembler une vieille loyauté intérieure :
« Je vois que tu souffres, mais je ne peux pas porter ça à ta place. »
« Je t’entends, et je suis là, mais je ne peux pas tout résoudre. »
Ces phrases ne ferment pas le cœur ; elles posent une frontière douce, celle qui permet à l’amour de respirer.
Lorsque la personne qui souffre répète : « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ? », vous pouvez simplement répondre : « Je ne sais pas, mais je sais que c’est difficile pour toi. »
Rien de plus. Et si la lassitude monte, osez dire calmement :
« Là, j’ai besoin de me reposer un peu, je t’appelle demain. »
Ces mots simples sont des pierres d’ancrage dans la tempête. Ils rappellent que la présence n’exige pas la fusion, que l’amour n’a pas besoin du sacrifice pour exister.
Le pouvoir du "non" habité d’amour.
Il arrive un moment où l’on comprend que porter l’autre ne le sauve pas, pas plus que cela ne nous sauve nous-mêmes.
Dans la plainte, il y a quelque chose d’hypnotique, une force douce et triste qui aspire la lumière ; y résister, c’est apprendre à rester vivant·e auprès de celui ou celle qui s’éteint. C’est dire non, mais un non habité d’amour, un non qui ne repousse pas, qui empêche seulement l’effondrement commun.
Peu à peu, celui qui porte découvre qu’il peut aimer sans sauver et que le respect ne naît pas du sacrifice, mais de la justesse.
Dire non n’est pas du désamour, mais une forme plus haute de fidélité : celle qui croit en la force de l’autre, même lorsque l'autre ne la sent pas encore.
Alors, quelque chose se détend enfin : le cœur se défait de son armure, la relation retrouve son souffle. On découvre que l’amour, le vrai, ne se mesure pas au poids qu’on supporte, mais à la liberté qu’on laisse à chacun de respirer.
Aimer, ce n’est pas réparer, c’est respirer ensemble.
C’est peut-être là le plus grand acte d’amour : laisser l’autre exister pleinement, sans le sauver, mais en restant simplement vivant à ses côtés.
Chaleureusement,
Anne



Commentaires